Droit voisin pour la presse : le géant Google remporte la bataille contre les éditeurs français
Dès aujourd’hui, Jeudi 24 Octobre, la France devient le premier pays de l’Union européenne à appliquer la directive européenne sur le droit voisin, un droit d’auteur réservé à la presse au centre d’un conflit entre les éditeurs français et Google suite à son adoption à la fin du mois de mars dernier, par le Parlement européen. Dans le cadre de l’application de cette réforme, la France fait face aux dispositifs mis en place par les grands groupes du numérique, incluant évidemment Google.
L’application de cette réforme aurait contraint Google à rémunérer les sites de presse pour l’utilisation dans Google Actualité des photos et extraits de contenus issus des articles rédigés par les journalistes. Pour éviter cela, tout en restant dans un cadre légal vis-à-vis de la nouvelle loi sur le droit voisin, Google a annoncé changer les règles et retirer dorénavant tous les extraits de contenus provenant des sites de presse pour ne laisser que de simples liens bleus, en laissant la porte ouverte aux éditeurs qui pourraient autoriser le moteur de recherche à le faire gracieusement, via l’ajout de certaines balises sur leur site. Au 24 octobre, la majorité des sites de presse n’ont guère eu le choix de déployer ces fameuses balises, tout en souhaitant contre-attaquer Google.
À cet effet, dans une tribune publiée sur plusieurs médias hier, 800 journalistes et personnalités de la sphère médiatique et culturelle disaient exiger justement une « contre-attaque » des pouvoirs publics face à Google. Ces derniers étant favorables au droit voisin, ils critiquent la manière dont Google compte l’appliquer.
Concrètement, que prévoit ce droit, et pour quelles raisons les nouvelles règles en cours de déploiement du côté du géant Google pour s’y adapter, sont-elles critiquées par la presse et le gouvernement ?
Le droit voisin pour la presse : de quoi parle t-on ?
En clair, les « droits voisins du droit d’auteur » sont accordés à des personnes physiques ou morales ayant participé à la création d’une oeuvre, mais n’en étant pas les auteurs initiaux. En ce sens, les entreprises de presse sont concernées car elles accompagnent les journalistes dans la publication des articles de presse, sans en être directement l’auteur. Il faut savoir que celles et ceux qui bénéficient d’un « droit voisin » peuvent percevoir des droits patrimoniaux lorsque l’œuvre est utilisée et ont un droit moral sur le respect de l’œuvre.
Institué par l’article 15 de la directive européenne sur le droit d’auteur, adopté par le Parlement européen à l’issue d’une intense bataille de lobbying, le droit voisin a été conçu pour aider les éditeurs de journaux et magazines, ainsi que les agences de presse, à se faire rémunérer par les grandes entreprises réutilisant leur contenu sur Internet. Reste encore à valider les modalités d’utilisation des articles et leur prix entre éditeurs de presse et plateformes, même si son principe est fixé dans la loi.
Quelles sont les nouvelles règles imposées par Google ?
Le mois dernier, Google présentait les nouvelles règles qui seront appliquées dès aujourd’hui par les éditeurs européens en France. L’objectif de cette mise en place : se mettre en conformité avec cette réforme liée à la directive européenne sur le droit voisin.
Concrètement, qu’est-ce qui va changer ? Google n’affichera plus d’extraits d’articles (dont le titre, le chapô et le début du texte de l’article), ni de photos et aperçus de vidéos dans les résultats de son moteur de recherche, ainsi que dans Google actualités, sauf si les éditeurs autorisent à le faire gratuitement. Dans le cas contraire, Google continuera de référencer leurs infos, mais de façon beaucoup plus succincte qu’actuellement, avec un simple titre et un lien.
Pourquoi les médias sont-ils craintifs ? Face à ses nouvelles règles imposées par Google, les éditeurs de presse se voient forcer d’anticiper le fait que potentiellement, une grande partie de leurs lecteurs habituels ne cliqueront plus sur ces liens aussi peu détaillés. Si cela se vérifie, il y aura forcément des conséquences importantes sur les revenus des journaux et des sites d’information.
Malgré tout, pour le patron de Publihebdos par exemple, éditeur d’Actu.fr, Francis Gaunand, impossible de faire autrement : « Nous sommes tellement dépendants de Google que ce serait un suicide ! Quand bien même je déplore que la plateforme s’adonne à un tel chantage. » Près de 35% de son audience provient du moteur de recherche ». Chez Ouest France, l’hésitation a plané toute la semaine, pour finalement déployer la balise sur le site en début d’après-midi, ce Vendredi 18 Octobre. Chez France Info, « On grince des dents mais on obtempère». Le déploiement a été réalisé le jour de l’update de Google, le 16 Octobre, le site limitant toutefois le nombre de caractères repris par le moteur de recherche de Google à 300. Le Parisien, lui, a placé le curseur encore plus bas, à 160 caractères. Les autres sites ayant en effet décidé de n’imposer aucune limite de caractères à Google. Côté vidéo, France Info, qui dispose de la totalité du catalogue des chaînes du groupe France Télévisions, s’est également vu contraint d’être restrictif, limitant à 3 secondes l’aperçu que Google peut diffuser. Les sites du groupe Altice Media, BFM TV, Libération et l’Express, ont placé la limite à 10 secondes.
Comment se défend Google face à ces craintes ? Richard Gingras, Responsable de l’information chez Google a expliqué que son groupe refusait de payer par principe les éditeurs de presse pour leurs productions, faisant valoir le trafic astronomique que Google apporte aux sites de presse, et en insistant sur deux points : le nombreux outils mis à disposition gratuitement auprès des journalistes et son fonds de soutien à l’innovation dans les médias.
Que reprochent les éditeurs de presse à Google ?
Aujourd’hui, les éditeurs de presse estiment être confrontés au diktat de Google, auquel ils peuvent difficilement se soustraire. Selon eux, le géant américain contourne la directive en conditionnant la mise en avant de leur contenu à une réutilisation gratuite d’extraits de leurs articles et de leurs vidéos. De leur côté, en refusant d’accepter l’utilisation gratuite de leurs contenus, les éditeurs de presse s’exposent à une situation délicate, puisqu’ils sont certains de voir le trafic vers leurs sites chuter, compte tenu du poids très important que représente Google dans l’origine de leurs visiteurs.
À l’heure actuelle, un certain nombre de médias ont déjà accepté l’utilisation gratuite des extraits et vignettes pour éviter une perte d’audience trop importante, même s’ils continuent de s’opposer au dispositif déployé par Google.
Et la position du Gouvernement dans tout ça ?
Ce conflit entre éditeurs français et Google a fait l’objet d’une très forte mobilisation. En effet, la France s’est mobilisée jusqu’au sommet de l’Etat pour faire adopter la réforme européenne du droit d’auteur, et elle est de nouveau montée au créneau depuis l’annonce de Google, premier acteur à s’être exprimé sur les droits voisins, devant les moteurs de recherche Yahoo et Bing, également concernés par l’affaire, ainsi que des agrégateurs de contenus comme Apple News et les réseaux sociaux Twitter et Facebook qui pourraient être amenés à se positionner sur le sujet.
Et le gouvernement dans tout cela ? Le gouvernement affirme vouloir mener la bataille sur plusieurs fronts. Premièrement, l’idée est de mobiliser notamment les Européens et de poser la question d’un éventuel abus de la « position ultra-dominante » de Google parmi les moteurs de recherche. L’autorité de la concurrence française s’est saisie début octobre du dossier.
Le Président Emmanuel Macron a déclaré dernièrement : « Nous ne laisserons pas faire et très clairement demandons aux autorités nationales et européennes de la concurrence d’examiner et d’engager au plus vite toutes les procédures possibles et au-delà », après avoir abordé la question avec la chancelière allemande lors du conseil franco-allemand ayant eu lieu mi-Octobre à Toulouse. Ce dernier a proposé de développer « de nouvelles règles pour réguler les grandes plates-formes », avec « des mécanismes de sanction plus rapides ».
Affaire à suivre…
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